Espaces Vectoriels

Dimension d’un espace vectoriel :

Peut être avez-vous déjà compris intuitivement ce qu’est la dimension d’un espace vectoriel. Plus haut, nous avons dit par exemple, que la dimension d’une matrice à n lignes et p colonnes était n \times p.
Cependant, la définition formelle est un peu plus compliquée. La dimension d’un espace vectoriel est définie par le cardinal de sa base, et on peut également démontrer que toutes les bases d’un espace vectoriel sont de même cardinal.
En fait, c’est à partir de la notion de cardinal et du nombre d’éléments d’une base d’un espace vectoriel qu’on peut déterminer ainsi que définir sa dimension.
La preuve est appelée « Lemme de Steinitz ». C’est une preuve de l’égalité du nombre d’éléments d’une base à l’autre dans un espace vectoriel. La preuve est à priori intuitive, mais elle est un petit peu compliquée.

On considère une famille de vecteurs (e_1,e_2,...,e_n) à n éléments et une famille (x_1,x_2,...,x_{n+1}) à n+1 d’un espace vectoriel E. On considère également que les x_i sont des combinaisons linéaires de (e_1,...e_n). Nous allons montrer que si c’est le cas, la famille des vecteurs (x_1,...,x_{n+1}) est liée.

Il va falloir procéder à un raisonnement par récurrence, montrer que c’est vrai au rang n=1, et montrer que c’est vrai au rang n.

Donc, soit le vecteur e_1 et les deux vecteurs (x_1,x_2) de E, tel que x_1=a_1 e_1 et x_2= a_2 e_1

Soit a_1 ou a_2 est nul, alors dans ces cas là, x_1 ou x_2 est nul et la famille est liée, étant donné qu’un des coefficients est non nul.
Une famille dont un vecteur est nul est une famille liée.

Si a_1 et a_2 sont tous deux non nuls, en sachant que x_1 et x_2 sont des multiples de e_1, on peut poser :

a_2 x_1 - a_1 x_2 = a_2 a_1 e_1 - a_1 a_2 e_1 = 0

On voit bien qu’il y a dépendance linéaire entre les vecteurs, qu’il existe des coefficients non nuls, donc, la famille (x_1,x_2) est liée.

A présent, démontrons l’hérédité en supposant vrai ce raisonnement au rang n, et en le prouvant au rang n+1. Suivez, car ça se complique :

Soient donc (e_1,...e_{n+1}), une famille de n+1 vecteurs, et (x_1,...,x_{n+2}) vecteurs de E, de sorte en fait, que les x_i soient des cl de (e_1,...,e_{n+1})

Comme on a supposé que les x_i sont combinaison linéaire des e_i, on peut écrire :

x_1=a_{1,1} e_1+a_{2,1} e_2+...+a_{n+1,1} e_{n+1}
x_2=a_{1,2} e_1+a_{2,2} e_2+...+a_{n+1,2} e_{n+1}
...
x_{n+2}=a_{1,n+2} e_1+a_{2,n+2} e_2+...+a_{n+1,n+2} e_{n+1}

Il y a deux possibilités. Si tous les coefficients a_{n+1,j} ième colonne sont nuls, alors dans ce cas, les vecteurs (x_1,...,x_{n+2}) sont liés. En effet, ils ne s’expriment plus en fonction d’une combinaison linéaire de (e_1,...,e_{n+1}) mais simplement de (e_1,...,e_n). Par extension, les vecteurs (x_1,...,x_{n+1}) sont libres aussi puisqu’ils ne s’expriment plus qu’à partir de (e_1,...,e_n).

Autre possibilité, un des coefficients d’indice a_{n+1,j} est non nul. On va supposer que ce dernier est le coefficient a_{n+2,n+1} (dernière colonne, dernière ligne). En utilisant la technique du pivot de Gauss, on va pouvoir construire des vecteurs y_i, qui dépendent de x_i mais qui ne dépendent plus du vecteur e_{n+1}, et démontrer par récurrence que les vecteurs x_i ne dépendent pas non plus de e_{n+1}. Par conséquent, cela veut dire qu’on va se ramener au rang n.
On prend donc un vecteur x_i quelconque, x_2 par exemple. Le but, c’est de faire s’annuler le coefficient devant e_{n+1} pour ne plus en être dépendant. Comment faire ? Ce n’est pas simple à première vu… En fait, on va poser par exemple :

y_2=x_2 - \frac{a_{n+1,2}}{a_{n+1,n+2}}x_{n+2}

On développe :

y_2= (a_{1,2} e_1+a_{2,2} e_2+...+a_{n+1,2} e_{n+1}) - \frac{a_{n+1,2}}{a_{n+1,n+2}}(a_{1,n+2} e_1+a_{2,n+2} e_2+...+a_{n+1,n+2} e_{n+1})

On voit bien que le vecteur e_{n+1} disparaît. En simplifiant l’écriture, on a :

y_2= \displaystyle{\sum_{i=1}^n a_{i,2} e_i} - \frac{a_{n+1,2}}{a_{n+1,n+2}}\displaystyle{\sum_{i=1}^n a_{i,n+2} e_i}

Donc, on peut écrire l’expression de manière générale comme ceci :

y_i= \displaystyle{\sum_{k=1}^n a_{k,i} e_k} - \frac{a_{n+1,i}}{a_{n+1,n+2}}\displaystyle{\sum_{k=1}^n a_{k,n+2} e_k}

Donc, qu’est ce que cela veut dire, cela veut dire que la famille des vecteurs (y_1,...,y_{n+1}) est combinaison linéaire de la famille (e_1,...,e_n), mais donc (y_1,...,y_{n+1}) est liée !
Donc ! Il existe des coefficients b_1,b_2,b_{n+1} non tous nuls, tel que :

b_1 y_1 + ... + b_{n+1} y_{n+1} =0

Si on remplace les y_i par leur valeur, on a :

b_1 x_1 - \frac{a_{n+1,1}}{a_{n+1,n+2}}x_{n+2}+...+b_{n+1} x_{n+1} - \frac{a_{n+1,n+1}}{a_{n+1,n+2}}x_{n+2}=0

En isolant les x_{n+2} et en regroupant leurs coefficients (qui deviennent le coefficient c), on a :

b_1 x_1+...+b_{n+1} x_{n+1} +c x_{n+2}=0

Que remarque t-on ? En fait, c’est terminé. La famille (x_1,...,x_{n+2}) est une famille liée. Pourquoi ? On a affirmé plus haut que les coefficients étaient non tous nuls, et les coefficients b_1,...,b_{n+1} sont exactement les mêmes que ceux devant les y_i. Le terme c x_{n+2} ne change absolument rien, il n’est pas nécessaire de le prendre en compte puisqu’on sait qu’au moins un des b_i est non nul.
Donc, on a démontré la récurrence au rang n+1, car on voit bien qu’on a n+2 vecteurs qui appartiennent à un espace vectoriel engendré par n+1 vecteurs.

En fait, la puissance de ce lemme, c’est tout ce qu’il implique…
Il y a une conséquence immédiate… 

La conséquence est que si on a une famille génératrice (e_1,e_2,...,e_n) de E et une famille libre (u_1,u_2,...,u_p) de E, alors nécessairement, p\leq n. En effet, nous venons de démontrer qu’une famille de n+1 vecteurs de E, étant combinaison linéaire de n vecteurs générateurs est nécessairement liée. Donc, si p\geq n, la famille (u_1,u_2,...,u_p) est liée, et donc n’est pas libre, contradiction.
Cela amène à l’étape suivante, qui affirme que toutes les bases d’un espace vectoriel E, ont le même nombre d’éléments, qu’on appelle « dimension ». Enfin, nous y sommes ! Et pourquoi est-ce le cas ?
Prenons deux bases d’un espace vectoriel E, (e_1,e_2,..,e_k) et (f_1,f_2,..,f_l).
Si on prend (e_1,e_2,..,e_k) comme famille génératrice et (f_1,f_2,..,f_l) comme famille libre, alors l\leq k.
Si on prend cette fois (f_1,f_2,..,f_l) comme famille génératrice et (e_1,e_2,..,e_k) comme famille libre, alors k\leq l.
Si k\leq l et l\leq k, alors k=l.

Maintenant que nous avons formellement défini ce qu’était la dimension d’un espace vectoriel (nombre d’éléments des bases d’un espace vectoriel), voyons en quelques exemples :

  • Les matrices M_{n,p}(K), de dimension n \times p.
  • La dimension de \mathbb{R}^n est n
  • L’ensemble des polynômes R^n[X] est un espace vectoriel de dimension n construit à partir de n+1 vecteurs. Pourquoi ? 
    Si on prend l’espace vectoriel R^3[X], on voit bien qu’il nous faut 4 vecteurs pour le construire, comme par exemple les 4 vecteurs de sa base canonique (1,X,X^2,X^3).