Physique des particules et mécanique quantique

La fin du XIXème siècle correspond au paroxysme de la physique classique. Les physiciens pensaient que toutes les lois de la nature étaient enfin connues et que le travail des physiciens était de gagner en précision dans les données (Lord Kelvin). Il restait alors deux problèmes majeurs :
– le spectre du rayonnement du corps noir ;
– l’avance de périhélie de Mercure.
Nous verrons comment chaque problème a été résolu, conduisant à la révolution quantique et à la révolution relativiste. Ces deux révolutions restent pour le moment inachevées.

Nous verrons dans ce chapitre, comment certaines structures mises en évidence au cours du XVIIIème siècle vont se retrouver expliquées par la théorie quantique, comme par exemple la classification périodique des éléments de Mendeleïev, la spectrographie, et notamment le spectre d’émission ou d’absorption de l’atome d’hydrogène, et notamment les effets Stark, Zeeman, seront expliqués par l’équation de Schrödinger.

Nous essaierons de montrer en quoi la structure fine est explicable dans le cadre de l’équation de Pauli, et la structure hyperfine dans le cadre de l’équation de Dirac. Par contre l’effet Lamb trouvera une explication dans les fluctuations quantiques du vide.

Le spectre de corps noir

Le rayonnement du corps noir est le rayonnement qu’émet un corps en équilibre thermodynamique avec son environnement, à température ambiante ce corps émet principalement dans l’infrarouge, et est donc de couleur noire. Les physiciens voulaient connaître le spectre du rayonnement émis par un corps qui recevait autant de rayonnement qu’il en émettait. Ce spectre ne devait dépendre que de la température du corps et non de sa composition chimique ou de sa forme.
Vers la fin du XIXème siècle, deux lois étaient connues pour caractériser ce rayonnement :
– la loi de Rayleigh-Jeans à basse fréquence (dérivable de la loi classique) ;
– la loi de Wien à haute fréquence, purement empirique.
Nous allons montrer comment dériver la loi de Rayleigh-Jeans à partir des concepts de la physique classique, et montrer en quoi elle conduit à la catastrophe ultra-violette.

Le rayonnement du corps noir est un sujet théorique de la physique, et était un domaine important à la fin du XIXème siècle, étant donné le développement des éclairages dits artificiels, avec les lampes à pétrole, la découverte par Thomas Edison de l’ampoule électrique à incandescence. Domaine d’enjeux économiques, l’Allemagne, nation toute récente a décidé de se donner les moyens théoriques pour doper son industrie.

Dans cette étude, nous nous intéresserons à la définition de Kirschoff d’un corps noir, puis à la démarche théorique de Rayleigh-Jeans qui a abouti à la catastrophe ultraviolette, puis les premières mesures expérimentales avec les lois empiriques de Wien et du déplacement de Wien, enfin à la loi de Stefan.

Ensuite nous suivrons la démarche de Planck, tout d’abord empirique, puis les conséquences théoriques de la découverte de la loi qui porte son nom, ainsi que l’introduction de deux constantes fondamentales de la nature : la constante de Boltzmann, et le quantum d’action.

Préliminaires

En physique, un corps noir désigne un objet idéal dont le spectre électromagnétique ne dépend que de sa température.

Le nom corps noir a été introduit par le physicien Gustav Kirchhoff en 1862. Le modèle du corps noir permit à Max Planck de découvrir la quantification des interactions entre lumière et matière, qui fut un des fondements de la physique quantique.

Définition d’un corps noir

Le corps noir est un objet idéal qui absorberait toute l’énergie électromagnétique qu’il recevrait, sans en réfléchir ni en transmettre. Il n’est fait aucune autre hypothèse sur la nature de l’objet. La lumière étant un rayonnement électromagnétique, elle est absorbée totalement et l’objet devrait donc apparaître noir, d’où son nom. Cependant, compte tenu qu’un pareil corps pourrait émettre de la lumière sous l’effet d’augmentation de sa température, il n’est pas correct d’affirmer que le corps noir paraîtrait noir dans toutes les conditions.

L’intérieur d’un four

L’objet réel qui se rapproche le plus de ce modèle est l’intérieur d’un four (voir la figure). Afin de pouvoir étudier le rayonnement dans cette cavité, une de ses faces est percée d’un petit trou laissant s’échapper une minuscule fraction du rayonnement interne. C’est d’ailleurs un four qui fut utilisé par Wien pour déterminer les lois d’émission électromagnétique en fonction de la température. Les parois de l’intérieur de l’enceinte émettent un rayonnement à toutes les longueurs d’ondes : théoriquement des ondes radio aux rayons X. Cette émission est due à l’agitation des atomes. En effet, la température mesure l’agitation des atomes (ceux-ci oscillent autour de leur position). Ce faisant, chaque atome se comporte comme un dipôle électrostatique vibrant (dipôle formé par le noyau et le nuage électronique), qui rayonne donc de l’énergie.

Chaque paroi du four émet et absorbe du rayonnement. Il y a ainsi échange d’énergie entre les parois, jusqu’à ce que l’objet atteigne l’équilibre thermique. La répartition de la quantité d’énergie émise, en fonction de la longueur d’onde, forme le spectre. Celui-ci est la signature d’un rayonnement purement thermique. Il s’appelle donc spectre du corps noir et ne dépend que de la température du four.

Le spectre continu (donc en négligeant les raies spectrales) des étoiles (ou en tous cas pour la grande majorité des étoiles ni trop froides ni trop chaudes) est un spectre de corps noir.

Luminance

La luminance L_\lambda d’un corps est la puissance émise par un objet par unité de surface, par unité d’angle solide, pour une longueur d’onde donnée.
\displaystyle P=\int\int\int L_\lambda (\lambda, T)dS\cdot d\Omega \cdot d\lambda

Approche Classique

Modes de vibration

Plaçons-nous à 1 dimension, dans une enceinte de longueur L, la longueur d’onde de chaque mode est :

\displaystyle\lambda_n = \frac{2L}{n}

En effet, une demi-longueur d’onde peut occuper toute la longueur. Il est parfois plus commode de raisonner en nombre d’onde. Le nombre d’onde pour une longueur d’onde donnée est k = 2\pi/\lambda. En nombre d’onde, cela correspond alors à :

\displaystyle k_n = \frac{2\pi}{\lambda_n}=\frac{n\pi}{L}

Plus n est élevé et plus il y a d’ondes dans une longueur L donnée. A 3 dimensions, supposons une
cavité parallélépipédique, de dimension L_x, L_y et L_z, alors la longueur d’onde s’écrit :

\displaystyle \lambda_{m,n,p} = 2 \sqrt{\left(\frac{L_x}{m}\right)^2 + \left(\frac{L_y}{n}\right)^2 + \left(\frac{L_z}{p}\right)^2}

où m; n; p sont des entiers naturels non nuls. En nombre d’onde, cela correspond à :

\displaystyle k_{m,n,p} = \pi \sqrt{\left(\frac{m}{L_x}\right)^2 + \left(\frac{n}{L_y}\right)^2 + \left(\frac{p}{L_z}\right)^2}

Dénombrement du nombre de modes

Pour calculer le nombre d’onde dans un intervalle de longueur donné, il suffit de considérer la longueur d’onde, qui vaut \lambda c / \nu. Or, pour une boîte dont la taille est L, cette boîte contient 1 mode dont la longueur d’onde est 2L (en effet, il y a 2 demi-modes), soit pour une fréquence \nu = c/2L. Nous en déduisons que le nombre d’ondes par unité de longueur est 2\nu / c.

Si nous représentons chaque mode par sa longueur d’onde suivant les 3 axes, alors nous pouvons placer
ces modes sur 1/8ème de sphère, de rayon 2\nu / c. Nous cherchons à compter le nombre de modes qu’il y a pour un volume V donné :

\displaystyle N_\nu (\nu) = 2 \times V \times \frac{1}{8} \times \frac{4\pi}{3} \times \left(\frac{2\nu}{c}\right)^3

Le nombre de modes dans un volume est proportionnel au volume multiplié par le 8ème d’un cercle de
rayon le vecteur d’onde. Le facteur 2 correspond au fait qu’il existe deux modes de polarisation. Le nombre
de mode par unité de volume pour une fréquence donnée s’écrit alors :

\displaystyle N_\nu d\nu = \frac{8\pi}{c^3}\nu^2 d\nu

L’on peut également exprimer cela en fonction de la longueur d’onde :

\displaystyle N_\lambda (\lambda) d\lambda = \frac{8\pi}{\lambda^4}d\lambda

Loi de Rayliegh-Jeans
Comparaison Rayleigh-Jeans, Wien, Corps noir

L’expression précédente nous donne donc le nombre d’onde par fréquence et par unité de volume. D’après un résultat de thermodynamique, à une température T, chaque degré de liberté porte une énergie k_B T. Alors la loi de Rayleigh-Jeans qui exprime la quantité d’énergie dégagée par fréquence par unité de volume s’écrit :

\displaystyle u_\nu = \frac{8\pi}{c^3}\nu^3 k_B T

Ou bien si l’on exprime la quantité d’énergie rayonnée pour une longueur d’onde donnée et par unité de volume :

\displaystyle u_\lambda = \frac{8\pi}{\lambda^4} k_B T

Ces résultats ne sont pas très satisfaisants. En effet, les mesures expérimentales montrent que la courbe colle assez bien avec les mesures à basse fréquence, mais à haute fréquence la quantité d’énergie augmente sans cesse en raison du comportement en \nu^2, ce qui est physiquement impossible. En d’autres termes, l’énergie à haute fréquence diverge. Ceci sera qualifiée par la suite de catastrophe ultra-violette.

Loi de déplacement de Wien

Loi de déplacement de Wien

En physique, la loi de déplacement de Wien, découverte par Wilhelm Wien, est une loi selon laquelle le maximum d’émission d’un corps noir est située à une longueur d’onde inversement proportionnelle à la température.

\displaystyle \lambda_{max} = \frac{\sigma_{Wien}}{T}

avec \sigma_{Wien} = 2.898 \cdot 10^{-3} m\cdot K. Cette loi est empirique.

Loi de Wien

La loi du rayonnement de Wien caractérise la dépendance du rayonnement du corps noir à la longueur d’onde. Il s’agit d’une formule empirique proposée par Wilhelm Wien, qui rend compte de la loi du déplacement de Wien.

\displaystyle \phi_\lambda = \frac{C_{Wien}}{\lambda^5}\exp\left[-\frac{Cste}{\lambda T}\right]

La loi en puissance 5 rend très bien compte du comportement du spectre dans les hautes fréquences, et élimine la catastrophe ultra-violette. Cependant elle n’est pas valable à faible fréquence. Ou bien en exprimant en fréquentielle cette loi s’écrirait :

\displaystyle \phi_\nu = C'_{Wien} \nu^3 \exp \left[-\frac{Cste' \nu}{T}\right]

Loi de Stefan

La loi de Stefan donne tout simplement la puissance rayonnée par un corps noir, en fonction de la température. Elle s’exprime de la façon suivante :

P = \sigma T^4

Avec \sigma = 5.67 \cdot 10^{-5}W\cdot m^{-2}\cdot K^{-4}

Loi de Planck Empirique

Max Planck réfléchit au problème en début d’année 1900. D’un côté il y a une loi qui rend très bien compte à basse fréquence, la loi de Rayleigh-Jeans en 1/\lambda^4, et de l’autre la loi de Wien rend bien compte du comportement à haute fréquence en 1/\lambda^5 / \exp(Cste/\lambda T). Planck suggère donc une fonction raccord :

\displaystyle u_\lambda = \frac{Cste_1}{\lambda^5}\frac{1}{\exp(Cste_2/\lambda T)-1}

Mathématiquement nous voyons que pour les petites longueurs d’onde, cette loi se comporte de la même façon que la loi de Wien, et pour les grandes longueurs d’onde, se comporte en 1/\lambda^4 exactement comme la loi de Rayleigh-Jeans. Cette loi est présentée en octobre 1900, et est rapidement confirmée par l’expérience. Il reste alors à déterminer les 2 constantes.

Signification théorique

Loi du rayonnement du corps noir

Nous considérons des oscillateurs qui ne peuvent échanger de l’énergie que sous forme discrète, par multiple entier de h\nu. Ces oscillateurs peuvent donc interagir avec le rayonnement dont l’énergie est E_i = ih \nu.

Le taux de photons ayant une énergie E_i, parmi ceux pouvant interagir avec l’oscillateur est donné par l’expression :

\displaystyle \frac{\exp(-E_i/k_B T)}{\displaystyle \sum_{n=0}^{+\infty} \exp{(-E_n / k_B T)}}

Le dénominateur s’écrit :

\displaystyle Z(T) = \sum_{n=0}^{+\infty} \exp(-nh\nu/k_B T) = \frac{1}{1-\exp(-h\nu/k_B T)}

Calculons maintenant l’énergie des photons :

\displaystyle E = \sum_{k=0}^{+\infty} kh\nu \frac{\exp (-kh\nu / k_B T)}{Z(T)}

En posant : u=\exp(-h\nu / k_B T), nous voyons que le dénominateur s’écrit :

\displaystyle \sum_{k=0}^{+\infty} ku^k = u \sum_{k=0}^{+\infty}\left(\frac{d}{du}u^k\right)

Etant donné la continuité uniforme, l’on peut alors écrire :

\displaystyle \sum_{k=0}^{+\infty} ku^k = u \left[\frac{d}{du}\left(\frac{u}{1-u}\right)\right] = \frac{u}{(1-u)^2}

L’énergie des photons est alors donnée par :

\displaystyle E = h\nu \frac{u}{Z(T)(1-u)^2} = h\nu \frac{\exp(-h\nu/k_B T)}{1-\exp(-h\nu/k_B T)} = \frac{h\nu}{\exp(h\nu/ k_B T) -1}

D’où l’expression recherchée :

\displaystyle u_\nu = \frac{8\pi\nu^2}{c^3}\frac{h\nu}{\exp(h\nu/k_B T) -1}

Ou bien en fonction de la longueur d’onde :

\displaystyle u_\lambda = \frac{8\pi}{\lambda^5}\frac{hc}{\exp(hc/\lambda k_B T) -1}

Conséquences

Dérivation de la loi de déplacement de Wien

Remanions l’expression de la loi de Planck en fonction de la longueur d’onde :

\displaystyle u_\lambda = \frac{8\pi}{\lambda^5}\frac{hc}{\exp(hc / \lambda k_B T) -1} = \frac{8\pi k_B^5 T^5}{h^4 c^4}\frac{h^5 c^5}{\lambda^5 k_B^5 T^5}\frac{hc}{\exp(hc / \lambda k_B T)-1}

En posant x = hc / \lambda k_B T cela revient à chercher le maximum de la fonction :

\displaystyle f(x) = \frac{x^5}{e^x -1}

Calculons le maximum du spectre en dérivant la loi de Planck :

\displaystyle f'(x) = \frac{x^4 e^-x)}{(e^x-1)^2}(-x+5-5e^{-x})

La fonction est nulle pour : -x+5-5e^{-x}=0. Une résolution numérique donne x = 4.96511423, soit :

\displaystyle \lambda_{max} = \frac{1}{4.96511423}\frac{hc}{k_B T} = \frac{\sigma_W}{T}

Un calcul numérique donne alors :

\sigma_W = 2.8977 \cdot 10^{-3}m.K

Ceci permet alors d’expliquer la loi empirique de déplacement de Wien.

Dérivation de la loi de Stefan

Pour obtenir la loi de Stefan à partir de la loi de Planck, il faut intégrer l’expression sur l’angle solide, obtenant le flux rayonné :

\displaystyle P = \int_0^{+\infty} u_\nu d\nu = \frac{8\pi k_B^4 T^4}{h^3 c^3} \int_0^{+\infty} \frac{h^3 \nu^3}{k_B^3 T^3}\frac{1}{\exp(h\nu / k_B T) -1}d\left(\frac{h\nu}{k_B T}\right)

Cela revient à calculer l’intégrale suivante :

\displaystyle I = \int_0^{+\infty}\frac{x^3}{e^x-1}dx

Ecrivons le terme sous l’intégrale de la façon suivante :

\displaystyle \frac{x^3}{e^x-1} = \frac{x^3 e^{-x}}{1-e^{-x}} =  x^3 e^{-x} \sum_{n=0}^{+\infty} e^{-nx}

Après avoir montré la convergence uniforme de cette série sur [0,+\infty[, nous pouvons alors écrire :

\displaystyle I = \int_0^{+\infty} x^3 e^{-x} \sum_{n=0}^{+\infty} e^{-nx}dx = \sum_{n=0}^{+\infty} \int_0^{+\infty} x^3 e^{-(n+1)x} dx

Calculson le terme suivant par une intégration par partie :

\displaystyle I_n = \int_0^{+\infty} x^3 e^{-(n+1)x} dx = \frac{6}{(n+1)^4}

Nous en déduisons alors que :

\displaystyle I = \sum_{n=0}^{+\infty} \frac{6}{(n+1)^4} = \sum_{n=1}^{+\infty} \frac{6}{n^4}

Pour calculer cette sérié, nous allons nous appuyer sur les développement en série de Fourier, ainsi que le théorème de Parseval. En effet, en considérant la fonction 2\pi-périodique définie sur ]-\pi ; +\pi[ par :

f(x) = x^2

Cette fonction est paire, nous en déduisons que son développement en série de Fourier :

\displaystyle a_n = \frac{1}{\pi} \int_{-\pi}^{+\pi} x^2 \cos nx dx = 4\frac{(-1)^n}{n^2}

Le développement donne alors :

\displaystyle f(x) = \frac{\pi^2}{3} + \sum_{n=1}^{+\infty}(-1)^n\frac{4}{n^2}\cos nx

Le théorème de Parseval implique que :

\displaystyle \frac{1}{2\pi}\int_{-\pi}^{+\pi}|f(x)|^2 dx = \frac{\pi^4}{9} + \frac{1}{2}\sum_{n=1}^{+\infty}\frac{16}{n^4}

Nous obtenons alors :

\displaystyle \sum_{n=1}^{+\infty}\frac{6}{n^4} = \frac{3}{4}\left(\frac{\pi^4}{5} - \frac{\pi^4}{9}\right) = \frac{\pi^4}{15} (il y a une petite erreur)

D’où l’expression de la puissance totale rayonnée :

\displaystyle P = \frac{8\pi k_B^4}{h^3 c^3}\frac{\pi^4}{90}T^4

L’on déduit l’expression de la constante de Stefan à partir des constantes fondamentales :

\displaystyle \sigma = \frac{2 \pi^5 k_B^4}{15 h^3 c^3} = 5.67051\cdot 10^{-8} W\cdot m^{-2}\cdot K^{-4}

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